Parcours Croisés 2020

Parcours Croisés

Hommage à Jean-Michel Colignon (1915-1990)

France Dufour, Dominique Grain, Jacques Leclercq-K, Alain Mongrenier, Marie-Claude Quignon

Il y a trente ans cette année disparaissait Jean-Michel Colignon.
Cette date symbolique est l’occasion de rendre hommage à cette personnalité amiénoise aux multiples talents, qui a marqué le milieu artistique des années 50 à 80 en tant qu’artiste et enseignant.
Ses qualités très reconnues de pédagogue et de conférencier ont souvent été citées. Il existe déjà beaucoup d’écrits sur son rôle d’acteur culturel (professeur de dessin aux Beaux-Arts et à la Cité scolaire d’Amiens, puis inspecteur général de l’Education nationale en Arts plastiques et doyen des Enseignements artistiques). Son œuvre personnelle (peinture, photo, gravure) est moins connue, c’est donc cet aspect du personnage qui est ici privilégié, sans oublier  son lien particulier avec le théâtre (création du Carquois). L’idée de l’association Culture à la Ferme a été de réunir quelques figures des arts visuels de notre région ayant eu Jean-Michel Colignon comme enseignant lors de leur formation artistique. C’est ainsi que France Dufour, Dominique Grain, Jacques Leclercq-K, Alain Mongrenier, Marie-Claude Quignon ont, avec enthousiasme, accepté d’exposer quelques-unes de leurs œuvres pour rendre ainsi hommage dans ces Parcours croisés à l’homme d’images qu’ils ont connu.
Commissaire d’exposition, Vincent Blary

Après un temps en faculté à Lille (certificat de Lettres modernes et Histoire de l’art du Moyen Age), je suis revenue à mes premières amours – les Arts Plastiques – en allant aux Beaux-Arts d’Amiens, puis en faisant des stages à l’académie internationale de Salzburg et au musée Cernuschi à Paris.
Ensuite, j’ai entrepris une carrière dans l’enseignement (secondaire et primaire) ayant ainsi le temps de me consacrer à une pratique artistique durant les vacances.
J’ai présenté mes réalisations d’abord à Amiens, puis à St Valery, Abbeville, St Riquier et, selon les opportunités, à Vienne en Autriche, Grenoble, Paris, Lille, Narbonne, Perpignan, Toulon, Marseille, aussi Konya en Turquie, Salon de Provence, Aix-en-Provence, Dortmund… Tantôt en solo, tantôt au sein de collectifs.
Et mon passage aux Beaux-Arts d’Amiens reste avant tout associé aux cours de Jean-Michel Colignon. J’appréciais beaucoup la qualité de son enseignement et ce que je trouvais original, c’était ce « plus », c’est-à-dire l’élargissement vers la culture : par exemple, à partir des études documentaires, il faisait des associations selon l’origine des sujets.
C’est ainsi que devant la proposition de dessiner des feuilles et autres végétaux, il évoquait Giono : il aimait particulièrement “Le grand troupeau”. Une autre fois, en présentant des minéraux, l’association s’était faite sur Nikos Kazantzaki, avec Zorba, à la suite de quoi, j’ai lu tout Kazantzaki !
Jean-Michel Colignon reste pour moi un passeur. En ce qui me concerne, je suis souvent reliée aux livres quand je dessine.
Avec des auteurs comme Tanizaki (Eloge de l’ombre), Mirazaki Shikibu (Le dit du Genji), Sei Shonagon (Notes de chevet), Aki Shimazaki et dernièrement Peter Wohlleben…
La calligraphie me fascine aussi beaucoup, et encore plus les écritures non déchiffrées “qui restent à l’état sauvage, toujours en friche et qui interrogent par leur silence – cf Valère Valérie Marchand in “les alphabets de l’oubli”.
C’est ainsi que j’ai créé une “écriture du silence”, une calligraphie abstraite (cf Paul Klee) appelée contre écriture par Jérôme Peignot et qui joue avec les codes, comme un commentaire secret… qui s’est développée dans des livres objets que j’ai appelé “collection Motuscule” et qui compte 38 titres à ce jour.
France Dufour, février 2020

Je suis devenu céramiste en sortant de l’Ecole Régionale des Beaux-Arts d’Amiens, en travaillant dans l’atelier de Molliens-au-Bois, puis dans celui de Fréchencourt. C’est là que je réalise toutes mes pièces tournées, la vaisselle et les services de table mais aussi celles que je déforme : Les Mariannes, surtout la série des Bébés et des Lapins dans les années 1980, l’installation plastique Poulet de Grain à la Galerie Lubie en 1987 sont le témoignage de recherches constantes sur la métamorphose humaine et animale.
Je travaille aussi avec plusieurs artistes autour d’installations plastiques scénographiées, qui sont l’occasion de travailler d’autres couleurs, d’autres matières, d’autres techniques (vidéo, son) dans d’autres lieux : Banc de raies est présenté dans une ancienne quincaillerie et une usine désaffectée.
Les Grains de Grain sont exposés dans les moulins à vent du Nord de la France. Dans les années 1990, mon travail s’oriente davantage vers des Accumulations dans l’espace public, comme sur le parvis de la Cathédrale ou dans des parcs. Vegetal Terros (constitués de débris conservés dans des sachets plastiques) peut s’inscrire dans cette démarche.
Mes amitiés céramiques dans les années 2000 reviennent aux sources : pots néolithiques, engobés et cuits à 980°, dans lesquels on glisse un objet plastique. Ces expositions sont aussi l’occasion de partager les espaces et les rencontres avec des céramistes.
Co-fondateur du groupe CRAN en 1981 ; co-fondateur de la Galerie Lubie en 1987 A été chargé de cours Volume à la Faculté des Arts, Université de Picardie Jules Verne. A été directeur du Centre d’Art du Safran, programmateur du Carré Noir, Amiens Métropole.
Jean-Michel Colignon m’a laissé un grand souvenir, surtout de son cours d’« Etudes documentaires » à l’époque où il était professeur aux Beaux-Arts d’Amiens. J’y ai appris à me concentrer !
C’était quelqu’un qui était rigoureux et qui savait transmettre. Il avait de la prestance, il en imposait physiquement et j’entretenais de très bonnes relations avec lui.
Dominique Grain, février 2020

C’est au théâtre, à la Cité scolaire d’Amiens au début des années 60, que j’ai vu Jean-Michel Colignon pour la première fois, il était le Maître d’armes dans le Bourgeois Gentilhomme, le théâtre sera important dans ma vie. Je l’ai retrouvé plus tard lorsque je suis entrée aux Beaux-Arts, il était professeur d’une discipline intitulée “élément naturel”. Je me souviens de sa voix rauque, de sa stature, un bel homme.
Il fait partie de ces enseignants qui laissent des traces et qui sans doute ont influencé mon parcours : après les Beaux-Arts j’ai ouvert un atelier de céramique avec Dominique Grain. J’ai pratiqué la céramique pendant quelques années avant de me tourner vers d’autres modes d’expression. Je me suis intéressée aux matériaux de récupération : les cordes pour faucheuse dans les fermes, les chutes des métiers à tisser des velours Cosserat, les fibres plastiques des usines Saint Frères, pour en faire des structures textiles, que j’ai présentées à l’UNESCO avec le groupe Dialogue fin des années 70. En 1981 je co-fonde CRAN avec, entre autres, Mongrenier, Grain, Luquet, Liget. La peinture s’est insinuée de temps en temps dans ma pratique mais cette fin de siècle produisait et jetait… Les matériaux de récupération se sont imposés. En 1994 je co-fonde le collectif La Forge pour travailler à partir de rencontres et d’échanges, d’autres cheminements dont ne sont pas exclues la vidéo et la photo pour traduire, exprimer le monde où nous vivons.
Marie-Claude Quignon, février 2020

A 16 ans, dans des circonstances assez particulières et plutôt par hasard, je suis entré à l’Ecole Régionale des Beaux-Arts d’Amiens.
Souvent, dans la vie de tout un chacun, il y a des rencontres qui vous déterminent pour votre avenir, qui vous aident à grandir, ce fut le cas en ce qui me concerne avec la rencontre de Jean-Michel Colignon.
Il a su me redonner confiance en moi-même et m’a convaincu qu’à tous les niveaux on peut faire bien plus que ce que l’on croit être capable de faire. Né le 4 octobre 1940 à Amiens, vit et travaille à Rubempré. Suit les cours à l’Ecole des Beaux-Arts à Amiens. Etudes à Paris à l’Académie de la Grande Chaumière. A l’âge de 18 ans signe son premier contrat avec la galerie d’art Guy Charrier à Amiens. Il participe à plusieurs Salons parisiens : Salon d’automne, Salon des Indépendants, Salon de la Jeune Peinture au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. C’est dans les années 1960 qu’il découvre l’Ecole de Paris. Rencontre Paul Rebeyrolle, Alberto Giacometti et Jacques Van den Bussche, artiste permanent de la galerie Jean Claude Bellier avec qui il signe un contrat en 1963.
Sa sensibilité l’inscrit dans le courant expressionniste. Il aime travailler sur des papiers ou des cartons déjà marqués d’empreintes, avec des matériaux adoptés pour leur souplesse et la rapidité de mise en oeuvre qu’ils permettent : acryliques, pigments, pastels, craies, encres, stylos billes, crayons.

J’ai rencontré Alain Mongrenier alors qu’il venait visiter le musée Courbet d’Ornans, se souvient Frédérique Thomas-Maurin, conservateur en chef.
En l’écoutant et en découvrant son travail, je pensais à cette phrase de Courbet : “Je n’aime pas l’art pour l’art, ni les cercles distingués des beaux esprits sans vergogne. Je trouve mon affaire partout et je tire les conclusions que je désire. Je prends ce que je pense dans la nature, et pour moi l’ensemble des hommes et des choses, c’est la nature”. Cette citation s’applique bien à cet homme libre et discret qui va à l’essentiel.”
Alain Mongrenier